Amy Winehouse n’est pas qu’une épave!

15/02/2008 00:00

Son passage aux Grammy le prouve...

Il n’était pas encore 23h à New York – presque 4h du mat’ à Londres – quand Amy Winehouse est finalement apparue dimanche soir aux 50e Grammy Awards, pour chanter en direct dans un studio londonien déguisé pour l’occasion en night-club du milieu du siècle dernier. A ce moment là, on avait déjà annoncé son arrivée aux spectateurs une demi-douzaine de fois. Ils avaient regardé les présentatrices Cindy Lauper et Nelly Furtado accepter l’award de la chanteuse à sa place et ajouter qu’Amy serait sur scène pour chanter dans «quelques minutes à peine». Et, au fil des heures, ils avaient dû endurer une série d’infamies musicales, comme ce "duo" nécrophile entre Alicia Keys et Frank Sinatra, et un contorsionniste du Cirque du Soleil se tordant au bout d’un élastique sur l’air de «A day in the Life».

Mais ça valait le coup d'atendre. Un rideau s’est ouvert, laissant apparaître Amy Winehouse dans une robe cocktail, avec son habituelle choucroute sur la tête et un chouette orchestre de neuf personnes pour un medley de ses tubes «You know I’m no good» et «Rehab». L’ironie dans le choix de ces chansons n’a échappé à personne. Amy Winehouse a eu une permission de son centre de désintoxication («rehab» NDT) pour venir et elle a passé ces derniers mois à mijoter des mauvais coups sous l’œil attentif des tabloïds. Drogue, alcool, arrestations, désintox manquées, et pour couronner le tout, l’arrestation en novembre de son mari, Blake Fielder-Civil. Un peu plus tard le mois dernier cette vidéo la montrant soi-disant en train de fumer du crack dans sa maison à Londres. Nul doute, beaucoup de spectateurs étaient venu pour assister à un nouveau chapitre du feuilleton – une autre performance désastreuse, ou, au mieux, une touchante séquence de rédemption.

Mais ce qu’ils ont vu, c’est quelque chose de plus banal, qui réchauffe le cœur: une pro. Winehouse a chanté avec du cran et du style, faisant glisser ses phrases en rythme, jouant de mélismes, descendant dans son registre le plus grave. Elle a joué avec la caméra – tantôt hargneuse, tantôt boudeuse. Elle a dominé la scène avec une présence digne d’une Betty Boop ou d’un Johnny Rotten. Quand elle a remporté, avec «Rehab», l’award de la chanson de l’année – un des cinq Grammy avec lesquels elle est repartie – elle est apparue un peu abasourdie, mais s’en est vite remise pour faire un discours de remerciment favorable et même complètement cohérent. Elle a remercié «papa et maman » et «mon Blake». Elle a terminé avec un cri de ralliement: «Camden Town ne sera pas réduit en cendres» - un hommage à son quartier populaire du nord de Londres, ravagé par le feu le week-précédent. C’est bon signe cette percée de chauvinisme, ça nous a rappelé la copine fougueuse de Londres qui a débarqué en 2003 avec un très riche mixte musical transatlantique, combinant une passion pour la soul et le jazz américain avec un sens aigu du particularisme anglais.

La prestation de Winehouse laisse espérer que ses terribles tendances à l’autodestruction sont maintenant derrière elle. Mais ça nous a aussi rappelé que l’autodestruction, c’est sa muse. Winehouse n’est pas qu’une star-épave. C’est un poète romantique. «Black to Black», son CD de 2006, comporte plusieurs chansons qui parlent d’abus de substances illégales – de l’hymne refuznik "Rehab" («Ils ont essayé de m’envoyer en désintox/J’ai dit non, non, non») jusqu’à "Addicted" («accro» NDT) – une diatribe d’accro à la marijuana – en passant par "Back to Black", où elle chante « Tu adores souffler et j’adore tirer/La vie, c’est comme une pipe ».

Mais le thème vraiment central de l’album, c’est une autre addiction. Presque toutes les chansons parlent d’amour voué à l’échec: Winehouse sans cesse dans des relations sans espoir, puis sombrant dans l’alcool. Dans «Rehab», elle chante: «L’homme dit "Pourquoi tu penses que t’es là?"/Je dis, "J’en ai aucune idée"/Je vais, je vais perdre mon bébé/Donc je garde toujours une bouteille à portée de main».

Des paroles dures comme celles-ci rapprochent Winehouse du blues, mais sa musique a d’autres échos, du jazz vocal des années 50 aux girls-groups pop des années 60 dont Mark Ronson s’est subtilement inspiré. Winehouse n’est pas une revivaliste pure et dure, c’est plutôt une post-moderniste intelligente, qui mêle les vieux sons au franc-parler du hip-hop. Mais elle est certainement attachée au passé – voyez sa choucroute. C’est frappant comme son rétro-fétichisme va bien avec la façon dont elle romance souffrance et misère. L’influence la plus évidente de son style vocal nonchalant et rocailleux est Billie Holiday – suprême masochiste émotionnelle de la pop qui a bu et s’est droguée jusqu’à en mourir. Dans «Rehab», Winehouse s’en prend au centre de désintox, elle explique qu’elle préfère rester à la maison à écouter Ray Charles et Donny Hathaway. Est-ce une coïncidence si Ray Charles était drogué et Donny Hathaway dépressif et suicidaire?

L’héroïsme byronique est depuis le début partie intégrante de la mythologie du rock’n’roll. Et les pathétiques morts par excès de dizaines de grands musiciens n’ont pas affecté son glamour, au contraire. C’est clair qu’Amy Winehouse est une âme véritablement tourmentée. Les chansons de Black to Black racontent sa relation tumultueuse avec Fielder-Civil. «Rehab» ressemble à un reportage, un récit plus ou moins autobiographique des efforts déployés en 2005 par sa maison de disque pour qu’elle soigne sa dépendance. Mais on se demande si Winehouse serait tombée dans un tel bazar si ça ne s’était pas avéré si bon pour sa musique.

Souvenez-vous, quand Amy Winehouse est apparue pour la première fois, elle était différente. La Winehouse du premier album, Frank (2003), était une chanteuse futée de néo-soul du XXIe siècle. Son disque – un mixte soigné de pulsations jazz et hip-hop – sentait l’insouciance. Les chansons étaient accrocheuses et elle les interprétait avec beaucoup de charme. Mais du point de vue de l’émotion, ça restait distant et insatisfaisant. Bien loin des profondeurs des sentiments et des textes que Winehouse a finalement réussi à sortir quand elle a commencé à écouter Les Shangri-Las et à se transformer en pilier de bistrot gothico-maniaco-dépressif, avec un dangereux appétit pour la bière et pour les types bons à rien.

Alors si le triomphe de dimanche aux Grammy s’avère le début d’un vrai come-back, cette talentueuse chanteuse/compositeur pourrait se retrouver face à une sorte de crise existentielle dans sa carrière, à la recherche de nouvelles inspirations, avec des idées plus saines sur ce qu’est l’authenticité musicale, et peut-être même avec une coiffure moins flamboyante. Il n’y a pas que les moments difficiles et les alcools forts qui sont romantiques. Et on peut comparer la vie à autre chose qu’une pipe…


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